Bouboule
Dedans, c’est des tendons brisés, des nerfs distendus, des muscles affaiblis. Dehors, c’est des gestes retenus, des yeux qui se plissent, des douleurs qui naissent d’un simple mouvement de bras. Bouboule c’est une couverture de blessures dissimulées. C’est un rocher usé, érodé, jonché de cicatrices invisibles, de plaies cachées dans le creux des phalanges et en haut des épaules. Bouboule, c’est une tête dure, un visage finement buriné de plis et de rides qui se croisent en damier. C’est un regard lourd, des émotions qui oscillent en un froncement. C’est une voix qui monte vite, qui sonne fort et fait place nette. C’est une langue tranchée qui sait d’où elle vient et où elle reste. C’est des opinions forgées dans des contours restreints, des valeurs qui ne laissent pas d’entre-deux. C’est des amitiés ancrées et des relations anéanties en un mot. C’est une vie conduite comme il l’a voulu, avec ce qu’il a pu, sans concession et sans compter sur les autres. Une vie droite, qui ne tolère qu’à ceux qu’il aime. Et c’est une tendresse et une profonde générosité pour tous ceux qui restent du bon côté.
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Bouboule, c’est son surnom, donné à huit ans par ses amis, à quelques centaines de mètres de l’endroit où il vit maintenant, une maison qu’il a construite de ses mains et dans laquelle il est immobilisé depuis quelques années. A 58 ans, Bouboule en a passé 40 comme charpentier, dans des petites entreprises du coin, à soulever des poutres de bois à l’épaule. Aujourd’hui son corps blessé, accidenté, plusieurs fois opéré est celui d’un homme qui paie cher une vie de travail sans protection, sans repos. Son dos, ses épaules craquent, s’érodent, ne répondent plus. L’heure de la retraite n’est pas encore arrivé, mais il sait qu’il ne pourra pas savourer le plaisir de bricoler, de retaper pour lui, ses proches, comme il l’aurait voulu. Yves prend son mal en patience, rumine, compte les mouches.
Ce projet qui mêle photos et textes fait le portrait de cet homme. Les photos dissèquent de manière pudique son corps et son cercle de vie, court, caché dans sa cour dont on ne voit rien de la rue. Les textes, eux, s’attachent à retracer sa vie : un parcours simple, modeste, de charpentier sans ambition. Ils cherchent à sonder la rancoeur qui nait, à comprendre la fatigue, les œillères, loin des clichés et des exposés simplistes. De manière plus large, ces photos et textes cherchent à parler de classes sociales qui vivent dans l’ombre, entre oubli et souhait de rester caché.
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Date:
5 septembre 2023